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AICHA SNOUSSI

Immersion dans l’univers singuliers d’Aïcha Snoussi

Nous sommes allés à la rencontre de l’univers aussi singulier qu’étrange d’Aïcha Snoussi.

En effet, l’interview porte sur cette artiste tunisienne, née en 1989, qui est sans doute l’une des plus douée de sa génération.

Aïcha Snoussi fait partie de ces âmes singulières comme il en existe peu. Brillante et clairvoyante, il émane de ses dessins (peintures, gravures) un sens quasi mystique et une justesse indéfinissable dans la manière de traiter les sujets qui la fascinent. Ses œuvres sont réellement le reflet de ses réflexions sur notre monde. Après un baccalauréat au lycée français Gustave Flaubert de la Marsa, puis une formation dans le cadre de l’école des Beaux-arts de Tunis, de L’ISBAT. Elle a intégré, par la suite, la résidence d’artistes au centre des Arts Vivants de Radès. Depuis 2014, elle fait partie de la résidence à la Cité des Arts de Paris. Aïcha Snoussi a donc établi un pont entre ces deux villes que sont Tunis et Paris, en exposant à la fois dans les galeries d’arts à Sidi Bou Saïd, comme celle d’Aïcha Gorgi ou dans le cas de l’exposition « Golgotha » qui prenait place dans la galerie Ammar Farhat, et à la fois, en France, lors de l’exposition collective « Med’In peace » dans la ville de Montélimar.

A travers son désir de dépasser le monde factice des apparences et des faux-semblants, son art est engagé politiquement : il interroge, scrute, et critique les véritables travers de la société. Elle qualifie elle-même son œuvre de queer, et est contre la théorie des genres. Il y a également un intérêt profond pour l’humain, pour sa relation aliénante avec la machine ou, au contraire, pour l’avènement positif des nouvelles technologies. La religion est également un thème qui revient fréquemment. Une dimension métaphysique prédomine, et plus encore que des préoccupations, ce sont de véritables obsessions que l’on retrouve au fil de son œuvre plastique.

Néanmoins, même si ses influences sont très riches et variées et que sa connaissance en matière d’histoire de l’art est extrêmement pointue, l’artiste conserve une grande part de spontanéité lorsqu’elle se met à l’œuvre.

Aïcha se livre dans cette interview, avec l’authenticité et la précision qui la caractérisent.

Quelles sont vos influences artistiques ? lorsqu’il s’agit de dessiner, de peindre… quel est  l’élément (la composante) qui va vous « guider » et vous donner envie d’aller au bout d’une œuvre ?

A.S. Beaucoup de choses m’inspirent. Le cinéma expressionniste, les freakshows, les planches anatomiques et l’imagerie médicale, les clichés fétichistes, les Chants de Maldoror (Comte de Lautréamont), les instruments BDSM, les livres d’alchimie arabe, les machines rétro-futuriste. Cette liste varie quotidiennement, en fonction de l’humeur, des rencontres, des expériences vécues. Par contre, quand je dessine, toutes ces images disparaissent. Je redeviens un enfant qui improvise un peu n’importe quoi sur le mur blanc de sa chambre et que rien n’arrête à part les horaires fixes d’une institution, ou la soif. Le résultat n’est pas le plus important, le dessin peut ne jamais aboutir. Ce qui m’intéresse c’est l’expérience physique, l’improvisation, l’essoufflement, le dépassement de ses propres limites et le détournement du lieu.

Les courants (ou époques) qui vous interpellent ? Vous vous réclamez d’une esthétique médiévale ? Le surréalisme vous inspire également ? Vos dessins me font aussi penser au symbolisme d’Odilon Reddon : est-ce un courant artistique qui vous parle ?

A.S. Je me suis intéressée à certaines œuvres de l’époque médiévale quand j’étais plus jeune, aux Beaux-arts de Tunis. Mais le mot « médiéval » englobe plusieurs courants et une trop longue période pour parler d’une seule esthétique. De cette époque, je garde la rencontre avec l’œuvre fascinante de Jérôme Bosch, qui reste au box office de mon « musée des obsessions ». J’avais découvert le surréalisme aussi avec Dali, Ernst, Kahlo, Bellmer et surtout les fresques de Diego Rivera qui ont été un déclic. J’ai fait d’autres rencontres intéressantes depuis comme dada, l’art brut, la pataphysique, les situationnistes, les performances du body art avec Marina Abramovic’, Michel Journiac, Catherine Opie. Sinon je viens de googler Odilon Reddon, je reconnais certaines œuvres sur lesquelles je peux mettre un nom maintenant. Je découvre un travail au fusain avec la récurrence d’un œil célibataire et je comprends mieux la référence !

Lorsque l’on regarde vos œuvres, par exemple Le livre de anomalies ou Golgotha, on saisit tout de suite quel est le véritable sujet, à savoir l’étrange.  Selon vous, la laideur ou ce qui est hors norme est plus intéressant que la beauté à proprement dite ?

A.S. La beauté ou la laideur sont des notions très subjectives. Ce qui est hors norme peut être beau pour quelqu’un, moins beau pour un autre et généralement exclu ou tourné en dérision. Si je devais définir mon travail je dirais qu’il est queer. Ce mot englobe bien évidement l’étrange, l’hors norme, mais il est politique et correspond plus exactement à ce que j’exprime dans mon travail à savoir une déconstruction du corps policé et un plaidoyer en faveur du rugueux, du difforme, de l’excès. Les personnages que je dessine n’ont pas de sexe, ou alors ils en ont plusieurs. Une plante, un couteau, un harnais, un œil peuvent aussi être un sexe. Il n’y a aucune distinction de genre comme il n’y en a pas entre l’être humain, l’animal ou l’objet, qui peuvent être réunis dans un même corps ou s’entre-pénétrer simultanément.

Quelles sont les thématiques qui vous tiennent à cœur et qui sont récurrentes dans vos œuvres ?

A.S. L’anthropophagie, la mécanique, la chirurgie, le cyborg, le labyrinthe, ce qui a trait à la chair, aux liquides qui se mélangent, aux choses qui s’imbriquent. La nature aussi en ce moment, je dessine de plus en plus de plantes radioactives.

La symbolique de la mécanique ou plutôt l’imbrication de l’homme (la chair) dans la machine, est-ce une manière de dépeindre les diverses aliénations du monde et de l’humanité ?

A.S. C’est une des lectures possibles. On peut aussi y voir le contraire, c’est à dire la gloire des nouvelles technologies et l’avènement heureux de l’homme-machine. Ou encore la mise à nu d’une réalité plus complexe, loin de la vision manichéenne du monde où il y aurait d’un côté l’humain et de l’autre la machine. La machine fait partie de notre quotidien et nos corps portent déjà en eux l’artifice : Nous consommons des médicaments et des produits chimiques, nous portons des stérilets, des prothèses, du silicone, des appareils dentaires, des lentilles, des piercing etc. C’est un peu la thèse de Donna Haraway dans son Cyborg Manifesto, le cyborg n’est pas une invention du futur, c’est une réalité bien concrète. Cette idée me plait puisque l’on a tendance trop souvent à exhiber l’argument de la « nature » quand il s’agit de critiquer les corps modifiés et différents. L’imbrication de l’humain et de la mécanique est plus la célébration d’une époque où l’on encourage l’altération du corps par les produits que l’on consomme tout en discriminant toute personne qui ne correspond pas aux « normes ». Tout est question d’apparence.

Les artistes qui vous ont le plus attirée tout au long de votre parcours et pour qui vous ressentez une certaine connivence ? Vous aviez déclaré être admirative du travail du peintre Gérard Willemenot : qu’est-ce qui vous inspire le plus dans son œuvre ?

A.S. Oui, j’aime beaucoup son travail. Il est hors-du-temps, en décalage. Il y a beaucoup d’humour noir et de mysticisme. Mais cela aussi a fait parti de ma lubie médiévale.

J’ai cité quelques artistes plus haut dont le travail m’a beaucoup inspirée à certains moments de mon parcours. Il y a les photographies de Joël Peter Witkin et Jan Saudek aussi, les dessins de Roland Topor, la peinture de Francis Bacon. Aujourd’hui, je découvre le monde passionnant de certains artistes bruts ou outsiders comme le Palais Idéal du Facteur Cheval ou les Dessins mescaliniens d’Henri Michaux. C’est un monde aux frontières de l’art, dans les marges. Qu’il s’agisse de malades, médiums ou maniaques, les œuvres de ces visionnaires sont l’expression pure et frénétique d’un monde intérieur. Je me retrouve dans cette monomanie obsessionnelle lorsque je fais face à un mur ou une feuille de papier.

Quels sont vos projets en ce moment ? Sur quoi travaillez-vous en particulier ?

 A.S. Le Livre des anomalies, dont une partie a été exposée à Tunis pour l’expo « 3ajel/le temps réel », est un projet en cours, qui prendra plusieurs formes. Les cahiers dessinés se déclinent à l’infini et l’installation du travail varie selon le lieu où ils sont exposés. A Tunis, les cahiers ont été présentés éparpillés sur un bureau, avec des gants en latex noir, comme si la personne qui les manipulait avait quitté son lieu de travail un instant, et que cet instant à été figé dans le temps. Il s’agit plus de montrer un processus de travail qu’une œuvre aboutie, mais aussi donner un accès direct à l’œuvre : les cahiers ne sont ni protégés, ni encadrés. Chacun peut les manipuler, tourner les pages, ou utiliser les feutres posés sur la table pour noircir le papier. Mais les visiteurs d’une exposition ont rarement l’audace d’inscrire quelque chose, pourtant rien ne l’interdit ! Il y a une certaine sacralité autour de l’œuvre d’art et de l’artiste que je souhaite mettre à mal. C’est dans cette optique aussi que j’envisage de plus en plus un travail hors des lieux d’expositions, dans l’espace public, où il n’y a pas de piédestal entre l’œuvre et l’anonyme qui y pose son empreinte.

Nora Sraïeb, interview, 2017